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CHOC ! Les États-Unis Vont-Ils Remettre en Cause le Droit à l’Avortement ?

The Expert : Question2Santé.com
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27 Juin 2018. Anthony M. Kennedy, juge à la cour suprême des États-Unis, annonce qu’il va prendre sa retraite. À 81 ans, sa demande parait effectivement tout à fait légitime.

Sauf que prendre sa retraite lorsque que l’on a sa haute position n’est pas sans conséquences, et cela pourrait ouvrir la voie à un retour en arrière de près de 50 ans sur les droits à l’avortement dans le pays.

Retour sur ce changement qui pourrait bouleverser le droit des femmes aux États-Unis, mais pas que !…

Le droit à l’avortement aux États-Unis

Pourquoi le départ en retraite d’un seul juge pourrait tout faire basculer aux États-Unis ? Parce que la cour suprême aux USA est constituée de 9 juges, divisée en deux entre 5 juges conservateurs (de « droite », plutôt du côté des républicains) et 4 libéraux (de « gauche », plutôt du côté des démocrates).

Anthony Kennedy a beau être sur le papier un conservateur, c’est le juge qui faisait basculer la majorité en votant avec les libéraux sur un certain nombre de questions sociales.

Par exemple, c’est son vote qui a accordé le droit au mariage aux homosexuels américains en 2015.

Il faut savoir qu’aux États-Unis, aucune loi n’autorise l’avortement comme nous avons en France avec la loi Veil.

Mais suite à l’affaire Roe v. Wade de 1973, un arrêt a été rendu par la cour suprême américaine afin de considérer l’avortement comme un droit constitutionnel. Par extension, cela invaliderait toute loi qui tenterait de restreindre ou d’interdire ce droit à l’avortement, car cela serait contraire au XIVème amendement.

D’ailleurs, en 2016, la cours suprême a réaffirmé le droit à l’avortement par 5 voix contre 3 dans l’affaire Whole Woman’s Health v. Hellerstedt.

Oui mais voilà, Anthony Kennedy prenant sa retraite, le président Trump va pouvoir profiter de l’occasion pour nommer un nouveau juge pro-life (pro-vie = contre l’avortement), comme il l’a déjà fait en 2017 avec la nomination du juge Neil Gorsuch.

Ce qui donnerait la majorité aux juges conservateurs à la cour suprême.

Et donc une majorité de juges contre l’IVG.

Ce qui permettrait à un certain nombre d’États ultra conservateurs (peut-être une vingtaine), de saisir la cour suprême et d’obtenir l’interdiction pure et simple du droit à l’avortement dans leur état.

Le recul sur ce droit fondamental, même dans certains états américains à tendance démocrate, se fait déjà sentir depuis l’arrivée de Trump au pouvoir.

Son premier décret en tant que président, pris seulement quelques jours après sa prise de fonction dès janvier 2017, a été d’interdire le financement d’ONG internationales soutenant l’avortement.

Seulement quelques mois plus tard de la même année, l’Arkansas a décrété une nouvelle loi stipulant qu’un fœtus humain devra être considéré comme un enfant décédé, ce qui impose dorénavant le consentement des 2 parents pour une IVG. Oui, même dans le cas d’un viol, le violeur devra donner son consentement.

Cette année 2018, l’Iowa a promulgué la loi la plus restrictive des États-Unis concernant l’IVG. Celui-ci est dorénavant interdit à partir du moment où les battements de cœur sont détectés, c’est à dire dès la 6ème semaine de grossesse.

Il y a seulement quelques jours, la cour suprême américaine a offert une victoire aux pro-life en Californie. Par une loi, cet état imposait jusqu’à maintenant aux « centres de crise de la grossesse » (gérer par des groupes chrétiens et conservateurs) d’informer les femmes enceintes sur les possibilités d’une IVG ou de l’accès à une contraception gratuite (ou presque) dans des organismes subventionnés par l’État.

Les opposants à l’avortement avaient porté plainte en 2015 contre cette loi d’inspiration démocrate, considérant qu’elle violait leur liberté de conscience. Ce qui est protégé par le 1er amendement de la constitution américaine. La cour suprême a considéré qu’une telle loi violait la constitution, décision prise à la petite majorité de 5 juges contre 4.

Avec cette nouvelle nomination, la majorité de la cour suprême basculerait côté anti-avortement et les lois du pays tout entier pourraient aller en faveur des pro-life.

couverture frais medicaux IVG
Couverture des frais liés à l’IVG aux Etats-Unis. (source : https://www.kff.org/interactive/abortion-coverage/)

Cela placerait les États-Unis dans la catégorie des pays qui interdisent ou autorisent sous conditions l’avortement, rendant cet acte médical illégal dans certains états. Et cela pourrait mettre en danger plusieurs millions de femmes supplémentaires aux 25 millions qui le sont déjà dans le monde.

État des lieux de ce qu’il se passe dans le reste du monde à ce sujet….

Qu’est ce que le mouvement Pro-Life ?

Le mouvement pro-life (ou pro-vie en français), est constitué d’associations et de personnes qui défendent le « droit à la vie », et qui sont souvent proches de mouvements religieux. Ils sont en opposition avec le droit à l’avortement, l’euthanasie, la contragestion, la contraception et la peine de mort.

Ce mouvement est aussi appelé mouvement anti-choix, des fois même mouvement anti-avortement (ou anti-IVG), alors que ce dernier ne couvre qu’une partie des activités militantes du mouvement.

Le droit à l’avortement dans le monde

Selon l’OMS, environ 56 millions d’IVG ont lieu dans le monde chaque année, ce qui correspond à environ une grossesse sur 4. Toujours selon l’OMS, il y aurait dans ces chiffres environ 25 millions d’avortements dits « à risques », ce qui veut dire pas loin d’1 IVG sur 2.

On recense plusieurs niveaux d’autorisations concernant le droit à l’avortement :

  • Légal sur demande
  • Légal en cas de viols, de risques pour la vie de la mère, maladies mentales, facteurs socio-économiques ou malformations fœtales
  • (Légal pour) ou (illégal sauf pour) les viols, risques vitaux, malformations ou maladies mentales
  • Illégal, avec exceptions pour le viol, risques vitaux, maladies mentales
  • Illégal, avec exceptions pour risques vitaux ou maladies mentales
  • Illégal, avec exceptions pour risques vitaux
  • Illégal, sans exception

En 2016, seulement 61 états autorisaient l’IVG sans restrictions. Ce qui veut dire que seulement 39,5% des femmes avaient pleinement accès à l’avortement, en grande partie dans les pays dits « développés ».

Le dernier pays en date à avoir marqué les esprits concernant le droit à l’avortement est l’Irlande. Le référendum de mai 2018 sur la question a obtenu 66% de « oui », ce qui a obligé le camp du « non » a admettre sa défaite.

Autre pays ayant assoupli sa loi cette année 2018 : Chypre. Au mois de mars, des amendements ont été votés, et ils permettent maintenant aux femmes de pouvoir avorter dans un délai de 12 semaines sans justifications (mais avec consultation auprès d’un médecin). On note tout de même que le délai peut être prolongé à 19 semaines en cas d’inceste ou de viol.

Malheureusement, certains pays interdisent encore totalement l’avortement :

  • Continent américain : République Dominicaine, Haïti, Surinam, Nicaragua et Salvador.
  • Asie : Philippines, Îles Palaos,
  • Afrique : Mauritanie, Djibouti, Madagascar, Congo, Gabon, Guinnée-Bissau et Sénagal,
  • Europe : Vatican, Saint-Marin et Malte.

Un certain nombre de pays autorisent l’IVG mais « sous conditions » uniquement, par exemple en cas de danger pour la vie de la mère :

  • Afrique : la majorité des pays (sauf le Malawi, la Tunisie et l’Afrique du Sud qui autorisent l’IVG sans aucunes restrictions)
  • Asie : Liban, Syrie, Afghanistan, Yémen, Bangladesh, Sri Lanka, Birmanie,
  • Amérique du Sud : Guatemala, Venezuela, Paraguay,
  • Europe : Pologne, Andorre.

Notons que les gouvernements ne vont pas toujours dans le sens d’une libéralisation du droit à l’IVG.

Par exemple, depuis 2016, en Pologne, le droit à l’avortement est complètement remis en question par les ultra conservateurs, alors que c’est un des pays européens où la législation est déjà l’une des plus restrictive.

 

Le droit à l’avortement en France

Malheureusement, même sans interdictions, il y a encore certains pays où malgré les lois en vigueur, la législation autorise les médecins à refuser de pratiquer des IVG pour raisons personnelles ou religieuses. Simplement en se déclarant objecteurs de conscience, et ils sont de plus en plus nombreux à le faire.

Vous serez peut-être étonnés d’apprendre que c’est le cas en France et en Italie.

© France 24 | Les lois sur l’avortement en Europe. Source : http://www.france24.com/fr/20180524-avortement-ivg-droit-loi-union-europeenne-ue-carte-legislations-autorise-interdit-restreint

À l’heure actuelle, la loi française autorise l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse. Cet acte est garanti anonyme et gratuit pour toutes les femmes, même mineures, que ce soit dans un établissement de santé qui assure la dispense d’avance de frais, un centre de santé, un centre de planification ou un cabinet en ville.

De plus, la loi française autorise l’IVG pour motif médical lorsque la grossesse met en danger la vie de la femme ou du fœtus, ou lorsque celui-ci est atteint d’une maladie grave et incurable. L’acte peut être effectué quel que soit la date du diagnostic, et ce jusqu’au dernier moment de la grossesse.

Depuis 2013, les frais de soins et d’hospitalisation liés à une IVG sont pris en charge à 100% par la sécurité sociale.

Depuis 2015, la loi française a encore évolué puisque depuis cette date, le délai de réflexion obligatoire de 7 jours entre la demande d’interruption volontaire de grossesse de la patiente et sa confirmation écrite a été supprimé.

Depuis 2016, l’intégralité des frais concernant une IVG est prise en charge par la sécurité sociale (consultations, analyses, échographies, …).

Selon l’INED, on décompte en moyenne 200 000 IVG en France chaque année. Ces chiffres sont stables, mais l’on constate que de moins en moins de femmes y ont recours.

Les mouvements anti-IVG ont toujours été assez virulents. En France, depuis les premiers débats concernant l’IVG en 73, puis depuis 75 avec la loi Veil, jusqu’à maintenant. Un certain nombre de groupes et d’actions ont éclos, tous avec les mêmes slogans : un fœtus est un être vivant qui a le droit de vivre. Point non fondé d’un point de vue médical.

Ces groupes pro-vie sont souvent constitués des mêmes personnes que l’on retrouve dans les groupes anti-gays, anti-mariage pour tous, avec un discours pas tout à fait clair sur leurs motivations contre ce droit fondamental qu’une femme doit avoir sur son corps.

Notons par exemple, le groupe « les survivants » qui a éclo en 2016, porté par des jeunes anti-IVG.

Quel sera le droit à l’avortement pour les générations futures ?

Cela pose évidemment question sur l’avenir du droit l’avortement dans le monde.

Lorsque les États-Unis ont ouvert le débat avec l’arrêt de la cours suprême en 1973, ils ont ouvert la porte à la discussion du droit à l’avortement dans le monde entier. C’est aussi grâce à cela que la loi Veil a été accepté en 1975.

N’oublions pas que les mentalités évoluent : en 2014, 75% des Français se disaient favorables à une interruption volontaire de grossesse sans restriction, contre seulement 48% en 1974. Soit seulement 40 ans après le vote de la loi Veil.

Mais si les USA font ce retour en arrière, et étant donné qu’ils sont une sorte de « modèle » pour beaucoup de pays, cela ne risque t’il pas de pousser certains mouvements pro-life dans d’autres pays à faire pression sur leurs gouvernements ?

Que se passera t’il en France, si le gouvernement actuel, ou un gouvernement futur, décide de remettre en question ce droit fondamental, en se basant sur le fait que les USA ont fait ce choix ?

La question est posée…